Trilogie San Miniato 03 - Le Bonheur À San Miniato by Jean d’Ormesson

Trilogie San Miniato 03 - Le Bonheur À San Miniato by Jean d’Ormesson

Auteur:Jean d’Ormesson [Jean d’Ormesson]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: J.C. Lattès
Publié: 1987-05-11T22:00:00+00:00


3

C’est Atalanta Lennon qui, la première, à Ankara, éprouva de la méfiance à l’égard du valet de chambre de Son Excellence l’ambassadeur d’Angleterre. Elle avait d’abord eu, pour lui, comme tout le monde, de la sympathie et de l’estime. Il était gai et débrouillard, il se mettait en quatre pour se rendre utile. Plus d’une fois, il servit de chauffeur à Atalanta, l’emmena faire ses courses, lui prépara un gâteau quand elle recevait des amis, garda même les enfants – qui l’adoraient et à qui il faisait parfois répéter leurs leçons de mathématiques ou des rudiments d’histoire romaine.

— Qu’est-ce que vous pensez de mon valet de chambre ? disait, dans les dîners, l’ambassadeur à Atalanta.

— C’est une perle, disait Atalanta.

— N’est-ce pas ? disait l’ambassadeur. C’est ce que tout le monde me répète. Mon collègue suisse m’a confié en riant que tout le corps diplomatique d’Ankara me l’enviait – sans même excepter, paraît-il, l’ambassadeur d’Allemagne.

— Eh bien ! disait Atalanta qui pensait à autre chose.

— Vous connaissez Franz von Papen, n’est-ce pas ? demandait l’ambassadeur.

— À peine, répondait Atalanta. Je l’ai vu ici ou là. Mais ma sœur Vanessa était liée avec lui.

— Est-ce celle qui travaille maintenant aux côtés de Churchill ? demandait l’ambassadeur, extrêmement intéressé.

— Non, disait Atalanta. Celle de Churchill, c’est Pandora.

Geoffrey avait naturellement raconté à sa femme l’aventure d’Istanbul, l’assassinat de M. von Webern, la rencontre soudaine avec le valet de chambre. C’est le déroulement du récit, ce sont les mots répétés qui mirent Atalanta sur la voie d’une vérité qui échappait aux acteurs.

— … Et alors, racontait Geoffrey pour la troisième ou la quatrième fois, à des agents britanniques de l’intelligence Service ou du MI5, qui est-ce que je vois ? Ton ami, le valet de chambre. Il était là, dans le café, et il avait vu passer le type, son pistolet à la main…

— C’était une impasse, n’est-ce pas ? demandait Atalanta.

— Une impasse, oui. Fermée par le café. Derrière le café, il y avait la cuisine et un jardin. L’homme était un athlète. Il a sauté par-dessus le mur. J’aurais pu le poursuivre. Mais ce n’était plus la peine : il avait pris trop d’avance.

— Tu l’as vu sauter par-dessus le mur ? demandait Atalanta.

— Ah ! bien sûr… J’arrivais au moment même où il disparaissait… Juste à temps.

— Tu l’as vu, sur le mur ?

— Je ne sais plus… Je ne crois pas… Il venait de le franchir… Je me demande si je n’aurais pas pu l’entendre retomber de l’autre côté…

— Mais, à ce moment-là, tu étais encore dans le café, en train de discuter avec notre ami ?

— Oui. Le mur était à deux pas. Le type venait de passer en trombe.

— Ah ! oui, disait Atalanta.

Et les Anglais, fascinés par l’histoire et peut-être aussi par Atalanta, secouaient la cendre de leur pipe en la frappant contre leur talon et répétaient, en hochant la tête :

— Dommage. Ce Webern avait encore des choses à dire. Too bad for him. Mais vous en aviez déjà tiré pas mal d’informations.



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